jeudi 29 décembre 2011

Esquive ( 2 )


Il avait
Le bagout du marin
Et le regard des sages
Des filles en grappes
Sur les genoux
Je crois qu' il s' amusait
De cette danse de sioux
Et cette façon que tu avais
D' éviter les miroirs
Il a guetté le premier frisson
Enroulé
Ses torsades à ton cou
Tu l' as remercié d' un sourire
Puis d' un doigt sur la bouche
Ailleurs toujours
Avant que d' être
Sous tes dents
Crissait déjà
Le sable de l' esquive

Au bout du quai
Paris poissait dégueulasse
Tu as fait venir Son visage
Pour dissiper tes brumes
Et puis tu as pensé
Au matin mauve
En baie de Somme
A la place vide
A ton sillage
De marées basses
Et de lits froids
...

Là-bas s' éteignait le fanal
Piqué de noms d' oiseaux
Et de poissons volants

mardi 27 décembre 2011

Esquive


Le geste fut si doux
D' ouvrir votre chemise
Et poser dans mes mains
Ce qui battait dessous
J' ai attendu longtemps
Ce mouvement des épaules
Laissé ma peau
Contre vos lèvres
Au fond d' un verre d' alcool
N' emportant que mes os
Ma cage
Le nom
Que vous m' aviez donné
La plage était une coursive
Où faire pisser
Sa solitude
Quand la lune dépitée
Relevait ses filets
...

vendredi 23 décembre 2011

Krav maga

Va savoir pourquoi le nom fit aussitôt surgir devant mes yeux l' image d' une tribu Mongole, avec ses yourtes, ses hommes aux pommettes saillantes montés sur de petits chevaux solides. J' ai entendu le vent des steppes, senti sur mes lèvres le goût âcre de l' aïrag. Roulé dans la prairie parmi des enfants hilares...
Une fois de plus, les mots se riaient de moi: le Krav maga est à la quiétude des nomades ce que le néon clignotant de cette salle des fêtes de province est au soleil levant sur les cimes de l' Altaï: entre eux, un désert plus grand que celui de Gobi...

Le Krav maga c' est un truc pas très compliqué. Il suffit de taper sur quelqu' un, indifféremment jeune, vieux, mâle ou femelle, bref, de cogner le plus fort que tu peux avec les poings, avec les genoux, les pieds et tout ce qui te tombe sous la main, chaise, table, tesson, caillasse... Tu peux continuer de frapper la personne à terre, mordre ou casser un bras, même tenter le coup du lapin si tu es d' humeur badine. C' est la meilleure réponse au langage de la rue a dit celui qui se prenait pour le chef, encourageant ses soldats qui se foutaient sur la gueule devant nos sourires crispés. Génitales était le mot qu' il hurlait sans cesse dès que l' un d' eux oubliait de soustraire son pauvre piaf à l' oeil sanglant du rapace.
Pour que l' on comprenne vraiment bien, il avait mis au point tout un tas de petits scénarios très drôles, sortes de westerns citadins, où un gros plein de fric se débattait comme un brave, face à une bande de voyous armés de pistolets en caoutchouc. Self défense rapprochée oblige, le gros, malin comme tout, jouait l' affolé, tripotant ses poches en balbutiant ok mec je te donne tout, le code, la carte et quand la petite frappe qui y croyait dur comme fer ( l' imbécile..) tendait le bras, vlan, un grand coup asséné dans ses génitales lui faisait regretter d' avoir laissé pendouiller sans défense ce qui, il y a deux secondes à peine, était encore un objet de fierté.
Une vague nausée m' envahit et je fermais les yeux. Ne pouvant m' extraire sans risquer la prise d' otage, je comptais les coups comme des moutons qu' on mène à l' abattoir, jusqu' à ce qu' une voix providentielle annonce le dernier combat.
L' intrigue ne différait guère des précédentes devant l' éternelle tirette à billets et j' aurais pu réciter les dialogues par coeur ( ton fric enfoiré, magne-toi putain...) tant je commençais à en maîtriser la substantifique moëlle. C' est alors que celui qui jouait le gros malin, emporté par son élan, se mit à crier ok mec, je te donne tout, le code, la carte et..et... ne me fais pas de mal, j' ai un gosse moi, j'ai des femmes!
Aïe ! La sienne, la vraie était dans l' assistance. A la voir, comme ça, on la devinait aussi pourvue d' humour que son mari de talent en matière d' improvisation théâtrale.
Je n' ose imaginer la façon qu' elle eut de lui prouver, en coulisses, qu' elle avait bien compris la leçon...
Sans doute en resteraient-ils là de leur progéniture...

lundi 19 décembre 2011

Du vent



Sur mon visage en désordre
La pluie trouve ses chemins
Et plus bas
La mer monte
Sous la peau même
Il fait gros temps
C' est une langue de colère
Que je ne veux pas apprendre
Qui mélange les histoires
Les sourires
Les étoiles
Brise l' aile de l' oiseau
Se moque de la terreur
Du mousse
Vois
Nous ne sommes plus rien
Qu' un bateau dans la nuit
Un chêne et son esquisse
Que le vent
D' un sursaut
Couchera
Sur le flanc
...

vendredi 16 décembre 2011

Pays sage


Pêcheurs
Aux gestes suspendus
Sous un vol d' oies sauvages
Comme un jet d' encre
Sur un ciel pâle
L' ocre doux des murailles
Des marées de noyers
...

Demain les brumes
Relèveront leurs robes
Pour offrir leurs îles
Aux enfants de l' été

dimanche 11 décembre 2011

Naître ( 3 )


Si je n' étais pas née
Devenue matière douce
Sexe de fille
Et seins d' éphèbe
Qui aurais-tu trouvé
Ce matin là
Pour dégeler tes mains
Sous quelles paupières closes
Glissé tes ciels d' orages ?
J' étais à l' heure
Au rendez vous
J' avais arpenté d' autres corps
Brouillonné des baisers
Pour éloigner la peur
Croisé tant de regards
Dans le miroir des solitudes
Cousu mon ombre à mes chevilles
Dénoué mes sourires
A mesure que le temps
Me rapprochait
De Toi

Pour une caresse seulement
Entre mes cuisses et plus profond
Pour ces trois mots qui tanguent encore
J' avais prié à ma façon
Le dieu bouffeur de figues
De me cracher
Comme un pépin
Des nues
...

jeudi 8 décembre 2011

Naître ( 2 )


Mes poings serrés
Formaient un coeur
Au bout des bras
J' ai frappé fort
Le ventre dur
Glissé comme un caillou
Je voulais novembre et le pourpre
Et la brume en trousseau
L' odeur des feux de feuilles
Les grandes épousailles
Des fumées blanches et du ciel noir
Naître là
Dans ce matin signé
Par le vol d' un busard
Longtemps j' ai fixé
De mes yeux incertains
L' oblique de son piqué
J' ai su voler je crois
Avant mon premier pas
...

lundi 5 décembre 2011

Aphone



Mais quelle langue parlons-nous
Qui ne saurait plus dire
Le coeur battant

De la digue rompue, faut-il que l' oasis soit mangée de silences
Que les ronces en canif sur nos lèvres éprises
Gercent d' un sang mauvais nos mots en devenir
Rappelle-toi comme la soie
Tissait nos peaux
Aussi nos gorges

Le reste n' est qu' ennui
Au mieux
Littérature
...

mercredi 30 novembre 2011

Naître


Pour l' enfant nue du bord des fleuves
Qui l' âme à son ouvrage
Et le sourire ailleurs
Pousse d' un bout de bois doux
Des bateaux en papier
Qui ne sauraient rien
Des naufrages
Je suis née pour cela
Comme à chaque aube encore
Je veux croire aux promesses
D' un été qui s' étire

Tu es venue les yeux ouverts
Je l' ai voulu
Depuis je sais

On ne naît pas

On tombe
Infiniment
...

dimanche 27 novembre 2011

Amis

Une amie, dit elle au type en guise de présentation.
Et comme il semble un peu ailleurs, elle réitère: une amie...

Il est des jours où je maudis mes parents de m' avoir faite si polie, si soucieuse des autres ou si lâche de ne me permettre d' ouvrir en grand ma bouche. Tu ne dois pas en avoir beaucoup, toi, des amis, pour galvauder ainsi ce mot dont tu ignores jusqu' à la moëlle...

Dans le grand bazar des rencontres, je me suis égarée quelquefois. Il y eut des forts et des fragiles, des brillants qui perdaient tout leur or une fois franchi les murs de ma maison. Des timides qui cousinaient avec le soleil. Il y eut des faux, des contrefaçons, des mal finis, des erreurs d' étiquetage. Et puis ce petit lot, à l' écart, qui ne payait pas de mine, tenait dans une seule main. C' est pour consommer tout de suite ? a demandé la caissière. Tout de suite, non, il faut du temps pour faire un arbre. Mais demain, oui, et après demain et jusqu' au fond du trou.
Car mes amis vois-tu, sont l' exact opposé de toi. Ils sont vrais et profonds, blessés et drôles; ils donnent sans calcul, n' ont pas de certitudes. Ils ont l' enfance au bord des yeux qui n' en finit de leur creuser des rides. Ils ne jugent pas ce que je suis, ne sourient pas à mes défaites, ne jalousent pas mes fulgurances. Ils prennent de moi le limpide et le noir, les errances, les excès, ce qui m' enchante ou bien m' accable...
Et s' ils ont à me présenter, ils disent seulement mon nom. Cela suffit pour y loger l' espace de tout ce qui nous lie.

Alors, si tu es ce que tu ne seras jamais pour moi, s' il te plait, ne m' appelle plus, ne dis rien.
Fais comme si je n' existais pas.

mercredi 23 novembre 2011

Les oies sauvages



On marchait dans la rouille
La terre noire des bruyères
Dans la poche
La tristesse
Pour une heure muselée
Les poings serrés dessus
Juste avant le vacarme
L' ombre blanche a lézardé nos joues
Dans le ciel
Déchiré
D' un V
Et sa virgule

Oies des moissons
Anges obscènes
Affamées d' ailleurs et de ciels
D' ors ibériques
Et l' oeil à la vigie
Quand nous
Aveugles
Tombés
A côté de nos rêves
Nus parmi les mûriers
Cailloux aux pieds de glaise
Dans nos peaux que personne
Ne voudra plus toucher
...

samedi 19 novembre 2011

L' atelier



Elle a poussé la porte
En disant qu' il ne fallait pas
Que c' était comme rouvrir
Les coffrets de l' enfance
Tu as dit simplement
Je ne suis jamais partie
Toi perchée comme avant
Les jambes nues dans le vide
Dans le sang des copeaux
Tu ne voulais pas dormir
Fermer les yeux ni ronronner
Il te fallait des nuits sans lune
La solitude des louves
Pour croire au rêve immaculé
Longtemps tu n' as plus voulu voir
L' atelier comme une tour
A peine levé la tête
Au rideau pâle de la verrière
Elle a dit qu' il ne fallait pas
Mais les murs se souviennent
De vos deux noms feulés
Entre ses bras
Contre sa bouche
C' est là que tu es née

mercredi 16 novembre 2011

Falaise


C' était lui
Papillon des granits
Dans l' oblique
Du soir qui tombait
A deux doigts d' être nu
Le dos luisant
Des salamandres
C' était moi tout à l' heure
Dans ce geste d' enfance
Jusqu' au dernier appui
Où se terre la mort
Et c' était toi
Déjà
Qui tenait ma vie
A un fil

Un frisson
Et puis juste
Comme ça
Vouloir encore
Téter le ciel

...

samedi 12 novembre 2011

Le chemin


On ne saurait faire plus modeste que ce ruban tendu entre murets et jardinets bien sages.
La pente y est douce quand le coeur est léger, âpre si la nuit le fut, où chaque foulée résonne du silence obsédant de tout ce qui n' est plus.
Huit mille cinq cent soixante allers et autant de retours, le nez dans les godasses, pour ne pas voir devant, ton sourire en hamac suspendu aux collines.
Peuplé de mots d' anciens. Des mots de tous les jours. Du chien qui gueule sa solitude. Des giroflées d' avril. Des murs bleuis de givre. L' horizon noyé de fumée.
Le sac de billes en bandoulière et des noix plein les mains, Tim y surgit parfois, au débouché de la ruelle, en diable mal débarbouillé. Les joues fripées de nuit, il me sourit sous la capuche. Pour quelques pas encore, nous avons le même âge, crachouillant la peau de nos fruits sur le chemin de l' école.
Un jour, je sais, je suis bien assez folle pour ne pas arrêter le triangle de mon pas à l' ombre des tilleuls. J' irai au bout du chemin, sans courbe et les poches vides, jusqu' à venir cogner la vague.
Jusqu' à venir toucher ta bouche.
Et chahuter ton ciel.

jeudi 3 novembre 2011

Il disait l' été n' a qu' un temps...

J' avais beau me concentrer, tordre les mains, fermer les yeux, tu ne venais pas. Ni ta gueule un peu moche, ni tes fringues de vieille anglaise, ni ta douce indulgence, rien. Envolées les après-midi de l' enfance, les bouquets de pervenche, les équipées sauvages à tortiller nos fesses juchés sur des vélos trop grands, les parties de cartes à l' ombre du cerisier, les petits Lu de tes quatre heures, ton éternel poulet à cuire et ta façon de raconter la vie...
Quand il arrivait, plus rien n' était pareil. Les rires tombaient comme les prunes qu' il fallait ramasser pour en faire des confitures parce que tout ce qui est doux et sucré doit finir dans un bocal. Les choses du coeur cuites à gros bouillons. La fantaisie rangée sur des étagères. La poésie plus néfaste que les rats.
Tu répétais après lui que la terre est carrée, le ciel un théorème, la mer un volume quantifiable.
Et que l' été n' a qu' un temps.

Une ville en jouet pour les morts. Ils ont mis ton tas d' os à la verticale. Debout, ton cercueil ressemble à une pendule qui égraine ses heures en demandant à qui le tour.
Je n' aime pas te savoir là, posée sur ce vieux général qui te racontera ses batailles dont tu n' as que faire. Je n' aime pas l' idée que bientôt la pauvre chose ahannante qu' il est devenu se couche par dessus toi. Que tu doives être sage encore. Que ta course à venir ait l' allure d' un cheval bridé. Et qu' il manque une saison à ton éternel voyage...

à Laurence

lundi 31 octobre 2011

Sur les rails

Midi à Brest
Crachin têtu
Un Pré vert
Sous l' asphalte
T' en souviens-tu
Barbara ?

Des mains s' agitent
Comme des oiseaux
Il fera beau
Là-bas

Mais le temps
La misère
Ailleurs c' est comme ici
La même buée
Sur le coeur
Qu' un doigt fiévreux
N' en finit pas
De dissiper
Il a calé sa tête
Mais le roulis du train
Ramène inexorablement
Sa joue gonflée
A mon épaule
Il dort
Oliver Twist
Sur les genoux
Je n' ose plus un geste
De peur de casser le seul rêve
D' un  homme dont je ne sais rien
Montparnasse
Terminus
Des gens pressés me bousculent
Je voudrais n' arriver jamais
Quand je sais que personne
Ne m' attend
Sur le quai

jeudi 27 octobre 2011

Matin

De froid ou de vieillesse
L' agapanthe est morte cette nuit
J' ai ranimé le feu
Je suis seule à ma table
La tignasse en désordre
Un thé pour la soif
Un café pour le goût
Le chat repu s' affale
Au tout premier rayon
Et fixe de ses yeux jaunes
Je ne sais plus quelle ombre
Ou quel visage enfui
La forêt s' entortille
De fumées et de brumes
Comme une diva exsangue
Et la maison penche un peu
Du silence monte une plainte
Aigre et douce
Comme la chanson du vent
Qu' as-tu fait de ta vie ?
L' aube attise les possibles
Jamais je ne serai plus
Ce cheval foudroyé
Dans le temps
Qui me reste
Plus d' aiguilles
De secondes figées
Mais des bateaux à prendre
Des chemins
Aux murets d' étoiles
Et l' Océan toujours
Le ciel à qui parler
Je ferai aujourd' hui
Le tour de ta maison
Gratterai de mon ongle
Le givre à ta fenêtre
Et tu m' ouvriras mon amour
Nous irons sur un fil
Comme ces lièvres confiants
Qui ne veulent que survivre
A la rosée encore

La maison ne penche plus
Le chat s' est endormi
Le soleil a dissous
Les brumes frangées de rêves
Et la forêt bouclé
L' horizon à mes tempes
Qu' as-tu fait de ta vie ?

L' agapanthe est morte cette nuit

lundi 24 octobre 2011

Cirque

Il lance les mots
Comme des couteaux
Aux échancrures
De l' ombre
Un jet de trop
Ou de travers
Sous la mitraille
Elle est tombée
Il a dit simplement
Perdu
Le sourire blème
Sous le nez rouge
A ramassé la peau
Et balancé les tripes aux chiens
Le coeur aux fauves
Qui n' en finissait de perler
Ses mots d' amour

mercredi 19 octobre 2011

Ailleurs


Ivre d' un ciel
Dont l' aube ne veut plus
Elle tourne
En épargnant la mer
Aux chagrins déchainés
Comme la houle
Confondue
Qui ne trouve à couler
Qu' épaves

Ailleurs
Tu marches droit
Je veux dire
Comme un homme
Oubliant les jours où
Funambule égaré
Il te fallait sa peau
Pour traverser
L' hiver
..

dimanche 16 octobre 2011

Octobre


Le ciel salive
Quand s' ajustent
Les corps
Dans le Z
Des amants
Il pleut
Dans mon sang
Coule encore
Le limon
De ton ventre
Et tout au bout
Des doigts
La fièvre
Infiniment

Ecarte
D' un revers
La buée
Au ventail
Et vois
Comme je te veux

...

jeudi 13 octobre 2011

Le brouillon ( 2 )

Parfois, quand je m' ennuie, je dessine papa.
Un rond et deux bâtons au bout, comme des jambes minuscules sous une lune bien pleine.
Mon père, il faisait toujours tout pencher. Le banc, le lit. Même le sol du grenier. Je me souviens des jours de marché quand il fallait sortir la voiture. Mon frère, arque bouté, poussait les deux énormes fesses à l' intérieur pendant qu' on entendait le vieux râler que c' est pas dieu possible de fabriquer des bagnoles si mal fichues au prix où on les paye. Ensuite, toute la famille se ruait à l' arrière, du côté opposé pour faire contre poids. Mais ça penchait drôlement quand même. Moi, je restais sur le muret à attendre. Il n' aimait pas comment les gens de la ville me regardaient. Alors, pour me consoler, il me rapportait des bonbons.
Des caramels mous. Mes préférés...
Papa est mort quand j' avais douze ans à cause de son coeur tout enrobé de graisse. Comme le foie du canard que ma mère tue des fois le dimanche. Mes soeurs, je vois bien qu' elles se forcent pour avaler. Moi, quand je crache, maman ne me gronde pas. Elle dit comme ça que je suis pas normale et qu' il faut pas m' en vouloir. Mais que si je ne finis pas mes légumes, ce sera tintin pour les caramels. C' est à cause de ça que je me suis mise à suivre les gars sur le chemin des buis...
Dans ma tête je parle comme tout le monde mais ça veut pas sortir pareil. Sauf les gros mots. Mais là, c' est parce que je suis entrainée. Je me mets à la fenêtre et je gueule des saloperies sur les gens qui passent. Il y a ceux qui baissent la tête et font comme s' ils n' entendaient pas. Ceux qui me regardent avec pitié et d' autres qui rigolent. Ceux qui viennent voir ma mère pour lui dire que c' est quand même un monde de pas pouvoir circuler dans la rue sans se faire insulter et que je serai bien mieux dans un centre pour les gens comme moi où y en a qui s' en sortent drôlement bien, trouvent un petit boulot et parfois même un mari. Maman elle dit que les écoles c' est pour les riches et que ça m' enlèvera pas mes yeux bridés. Puis elle flanque tout le monde à la porte en hurlant des mots bien plus gros que les miens. Après, elle sort une bouteille du buffet et se l' enfile toute seule en pleurnichant. Je lui demande, comme je peux, si c' est à cause de papa qu' elle renifle comme ça. S' il lui manque autant qu' à moi. Elle répond juste qu' il est au ciel et qu' au moins là, il n' emmerde plus personne.
Hier j'ai eu quinze ans et la chatte grise a fait des petits. J' aime toucher les chatons. Et les bébés aussi. C' est doux, c' est chaud, ça sent le lait sucré. Jamais je ne leur ferai de mal mais je vois bien que les gens ont peur quand je m' approche d' un berceau. J' ai entendu le docteur dire à maman qu' il serait préférable que je n' aie pas d' enfant parce que je ne vivrai pas longtemps. Et qu' il fallait faire attention à ce que je mange pour ne pas finir comme mon père.
Le soir, maman a donné mes caramels aux poules, avant de noyer les petits chats...

La première fois que j' ai suivi les gars, c' était un jour comme aujourd' hui. J' étais triste comme souvent. J' ai fait semblant de pas comprendre ce qu' ils voulaient mais j' avais déjà vu ma soeur le faire avec cet imbécile de voisin dont elle s' était entichée. Ils retournaient leurs yeux en poussant de gros soupirs, comme quand je fourre une poignée entière de bonbons dans ma bouche.
Quand je sens leur machin durcir et rentrer dans mon ventre, ça ne me gêne pas. Et ça ne me fait pas mal non plus. La mousse chatouille mes cuisses. Je regarde passer les nuages. J' ai toujours aimé les nuages. Je pense à mon père qui ne doit pas se gêner pour les gober comme de gros caramels mous.
Alors, des fois, je vois le ciel qui penche.
Mais ça non plus, je le dis à personne...

dimanche 9 octobre 2011

Brandons


Ce qui reste
Après tout
Pas plus
Que trois
Fois rien
Quelques mots
Papillons
Trempés
Du bleu
Des jours de joie
Petit bois
Des heures
Blanches
Où rien
Ne vient à bout
Du givre
...

mercredi 5 octobre 2011

Ces mots


Ces mots que tu lâches en volutes
Comme des parfums d' ambre
Sur les pieds ocres de la fée
Ne disent rien de toi
Et rien du labyrinthe

Lors comme le ciel sait faire
Du plus sombre un vitrail
C' est à la source franche
De ton sourire ponctué
Que j' irai puiser tes secrets

dimanche 2 octobre 2011

Le brouillon


On la menait comme une grosse chèvre un peu rétive jusqu' au lit de mousse épaisse, au débouché du chemin des buis. On lui parlait durement, comme un homme, parce que c' était la seule façon qu' elle connaissait. On lui disait de s' allonger, de remonter sa jupe et d' écarter les cuisses. Qu' il y aurait des bonbons si elle ne faisait pas d' histoires. Des caramels contre un silence... On faisait passer le paquet devant ses yeux bridés. On n' était jamais sûrs qu' elle ait tout bien compris.
Après, il suffisait de fourrager sous son pull, de faire rouler ses seins sous nos doigts terreux pour sentir la chose durcir sous le pantalon. On entrait en elle, maladroits et pas fiers, mais qu' importait qu' on tremble un peu devant cette fille qui regardait le ciel sans gémir.
A l' école, c' est toujours ce qu' ils disaient, les maîtres: prendre le temps du brouillon. On était appliqués. A tour de rôle, dix fois l' on peaufina nos gestes et travaillâmes nos sprints. Nos chéries, les vraies n' auraient qu' à bien se tenir. Pas plus hauts que trois pommes mais déjà de grands couillons de mâles à qui on ne la fait pas. On remontait le pantalon resté coincé aux chevilles comme un vieux ressort déglingué. On passait la main sur nos crânes presque nus, un peu gênés soudain de n' avoir rien à dire de gentil à celle qui réclamait ses bonbecs en sortant sa grosse langue de simplette, comme un chien qui a soif.
Il ne faudra rien dire à ta mère...
Elle dépiotait son premier caramel en poussant de petits cris aigus.

Refermant nos braguettes on partait l' âme en paix. Elle avait déjà oublié...

mercredi 28 septembre 2011

Tu as dessiné l' océan



Crois moi ce ne sont pas mes mains
Qui ne sauraient plus
Caresser le poème
Mais les beaux jours
Dégringolés
Pas mon ventre
Dont l' indicible source
Se serait asséchée mais
Des continents de solitude
Qui ont bouffé la mer
Si mon sang bat encore
Vif et rond
Comme un soir de juillet
Il ne peut irriguer
Le froid lassis des veines
De ton visage
De marbre
Tu as dessiné l' océan
Pour que j' ouvre grand les bras
Que mes doigts deviennent des oiseaux
Derrière le ciel il y a le ciel
Et je vole à mains nues

samedi 24 septembre 2011

Tête vide




Il faut juste garder
Dans le creux d' un dimanche
L' envie de voir la mer
De cracher dans son gris
Pour faire baver l' écume
Qu' importent nos bateaux
Amarrés aux sillons
Quand nos vies sont de poche
Et nos voyages de glaise
C' est l' idée de la voile
Et c' est le goût du vent

Et garde toi d' éteindre
Si tu le croises un jour
Le feu de son sourire
Ou la lave de ses doigts
Car vivre n' est rien d' autre
Que le rêver encore
...

mercredi 21 septembre 2011

...

Comme une peau tatouée
De pluies d' octobre
Et de sanglots
De l' éternel été
De nos enfances
Comme un manteau
Tissé d' embruns
Et d' horizons obliques
De cargos en partance
De désir et de draps froissés
Roulant jusqu' à moi quand je sombre
Attisant le feu à mes reins
Tandis que je chevauche
Contre toute solitude
Cette voix chaude et grave
Et souriante
Ta voix
Bruissante à mon oreille
Comme une bossa tranquille

dimanche 18 septembre 2011

Derrière les volets clos ( 2 )


Le jardin est une forêt vierge. Il y taille tous les soirs un chemin au coupe coupe.
Mais. La Vie. Trois lettres un point dessus. Gravées en même temps que le fer qui dans un cri l' avait donné au monde, emmailloté d' un linge trempé de sang.
La Vie donc le rattrape in extremis, par une tiède après midi d' avril. Deux heures et des poussières exactement. Au thé dansant il ne voit qu' elle. Visage paisible et cheveux blancs.
Qui écarte en valsant le jus noir du ressac.
Entrouvre la porte de la maison que la misère des jours écaillait plus que le salpêtre.
Accroche le tulle aux fenêtres désormais offertes à la brise.
Dégonde sans remord la chambre de la pendue.
Y fait geindre son homme dans le lit de bois blanc...

mercredi 14 septembre 2011

De ce côté


Des lustres que j' attends
Sur le muret de pierres
A voir tomber les figues
Et lorsque tu parais
Aux soirs fardés de brume
Je souris simplement
A tes mots en brassées
C' est bon que tu sois là

Septembre pourtant
De ce côté la chambre brûle
Et tu dis parle-moi
En fouillant sous ma robe
Mes mots sont ceux des chattes
Je ne veux que tes mains

C' est le matin qui ment
Je me lève à la rouille
Aux dégoûts aux fatigues
D' une vie où tout est vain
Tu me retiens un peu
Ne tombe pas tu sais bien
On se retrouvera
De ce côté
Du ciel
...

dimanche 11 septembre 2011

La blessure


Car il nous faut apprendre
A contourner sa gueule poisseuse
A ne pas s' approcher
Plus près que de raison
Du gouffre hideux où elle crache
Son nid de ronces
Petite, il y avait la main de mon frère
Pour me garder des précipices
On marche sur un fil
Pour ne pas disperser
Les épines de son lit
Comme le renard piteux
Le loup qui se méfie
Des braises
Et l' on se ratatine
A moitié morts déjà
Dans nos nuits sans sommeil
Pour ne pas sentir à nos cous
L' âpre sillon de sa langue
On voyage immobiles
Quand on sait quels parfums
D' écume ou bien de tourbe
Viennent la réveiller
On dit des mots de rien
On sourit sans y croire
On vaque à la façon
Des céladons obscènes

Je dit on car je sais
La commune blessure
Qui porte encore ton nom


mercredi 7 septembre 2011

Derrière les volets clos ( 1 )



Il l' a trouvée là, dans la chambre, se balançant comme la folle qu' elle était devenue.
En chemise de nuit blanche et nue dessous.
Les seins lourds qu' elle avait comprimés des années durant, à en tourner de l' oeil les jours de grosse chaleur, parce que le démon les avait suçés.
Le démon... Une boule flasque qu' on lui avait posé sur le ventre juste après la déchirure, en lui disant qu' elle ne survivrait pas.
Qu' il lui fallut porter, nourrir, laver, torcher, sans qu' en échange ne sorte un seul maman de sa bouche de petite vieille.
Qui lui mourut dans les bras, seize ans plus tard, les yeux ailleurs, la main fuyante.
Qu' on enterra à la sauvette tout au fond du cimetière.
Un corps de femme fait dans une tombe de piaf.

Il n' a pas tenté un seul geste. L' a laissée tournoyer sur elle-même le regard vide. Il a éteint la lumière, s' est couché sans défaire le lit.
La fatigue, lourde comme un manteau de soldat.
Il a fermé les yeux. Entendu les flons flons d' un petit bal enfui.
Il a revu ses dents de chatte et cette manière qu' elle avait de faire passer la boucle brune derrière l' oreille où il aimait glisser des bêtises chaque fois que l' envie les prenait de se caresser là, n' importe où.
La robe qui lui collait aux cuisses en sueur quand ils posèrent la dernière pierre à cette maison qu' ils avaient voulue tous les deux.
Des fleurs dedans. Et puis dehors. Un enfant? Non, cinq, six, elle disait.
Et ce rire qui faisait durcir son bas ventre dès qu' il l' entendait...

Et puis les griffes.
Les mots qui tuent.
Les nuits sans rêve et sans sommeil près de ce corps qui ne voulait plus recevoir sa semence pourrie, comme elle crachait, mauvaise.
Les mains qui se tordent, vrillant les bords du tablier.
Ces phrases, récitées en boucle, comme des prières mais qu' est ce que j' ai fait au bon dieu pour mériter une misère pareille...
Et les fleurs qui se meurent au salon dans un vase à l' eau verte.

A l' aube il lui faudra l' habiller avant de la dépendre.
Et puis fermer les volets.
L' ombre n' abime pas le sépia des beaux jours.

Mais derrière laisser tant qu' il veut, le jardin pousser à la diable.

dimanche 4 septembre 2011

Fatras



Il y eut ce fatras
De promesses et de sel
Déposé sur tes lèvres
Par des bouches aimées
Il y eut le chant des corps
Et l' hallali des sexes
Qui se dressaient humides
Jusqu' à fendre en un cri
L' ombre pâle de tes cuisses
Il y eut des rêves de bal
Et de robes de fête
Sous un ciel étoilé
Et con
Puis la vie à zéro
Epinglée au velours
Dans le brouillard laiteux
D' un matin
De décembre
...

jeudi 1 septembre 2011

Les fenêtres n' en finiront jamais de leur mentir


Plus homme que Titan
Il porte pourtant le monde
Il dirait sa dépouille
S' il pouvait en parler

Arque-bouté résiste
Le dos à la fenêtre
Dont les volets sont clos
Il prend la brise pour vent d' Autan
Ne veut plus rien du large
Des rêves que l' on crochète
Aux roseaux des rivières


                A la marée du soir
                Elle laisse s' engouffrer
                Les langues et les visages
                Et l' or d' un seul regard


Il a perdu ses yeux
A force de chercher
L' opaque est sa lumière


                Les mots d' amour qu' elle dégoupille
                Des bouteilles à la mer

...

vendredi 26 août 2011

Paulo



Il était comme ça, Paulo, et s' il avait décidé qu' il irait au mariage de la fille du voisin en bleu de travail et charentaises, rien ne l' arrêtait. Plus têtu que les deux ânes qui lui bouffaient les myrtes du maquis de son île. Et râleur avec ça. Vivre sans bougonner  c'était.. tiens, c' était être mort déjà. Et tout y passait : la politique, les patrons, la flotte, le ciel bleu, les curés, les gosses, les Corses et les pinsutes... Le verbe haut, une voix de caillou et un accent plus parfumé que le figatelle qu' il faisait griller dans sa cheminée en fourrant  ses grosses mains dans les braises pour les étaler. Quand il parlait Paulo, je comprenais pas tout et ça le foutait en rogne parce que, pétard, il parlait français que je sache !
Même quand il me disait qu' il m' aimait bien, j' avais l' impression qu' il m' envoyait sur les roses...

Il a sorti son petit banc au soleil. Le médecin avait dit de rester couché mais les toubibs, ça n' y connait rien et puis qui c' est qui va lui couper ses poireaux si on veut manger de la soupe cet hiver?
Il est tombé, comme ça, le couteau à la main et la tête fichée dans la terre.

Là-bas, l' eau de la fontaine s' est tue. Comme toutes les fois qu' un vieux s' en va.
Demain, ils seront tous là, même ceux des collines alentours. Même les ennemis.
D' un geste lent, ils sortiront le grand mouchoir pour essuyer la nuque en sueur.
Les yeux mouillés aussi, sans doute, sur le chemin du cimetière.

Il prendra l' avion tout seul, elle m' a dit, inquiète et ça m' a fait sourire.
Pas méchamment.

Le soir de ton enterrement, il pleuvait.
Un instant, moi aussi, j' avais eu peur que tu prennes froid.

mardi 23 août 2011

Filles des berges



Nos roues
Fendaient les épis du sentier
Dans des vapeurs de menthe
Elle devant
Drapée d' un corps tout neuf
Lâchait les bras
Les portait haut
Pour ne rien céder au soleil
Nous avons nagé longtemps dans l' eau noire
Emprunté les chemins obliques
Des nymphes
Puis séchant au vent tiède
Des herbes folles où j' avais fait mon nid
Je les entendais rire
Quand une algue un poisson
Frôlait le galbe
Tout juste sorti de l' enfance
De leurs petits culs blancs

Deux jeunes Cirrus
Echevelés lorgnaient
Les filles des berges
Aux cuisses ambrées

Ainsi va l' été
Et le temps qui se dore
Sur le bord des rivières

mercredi 17 août 2011

La place (2)

Les voilà ventre à ventre
Bras et cheveux noués
Les voilà plongés l' un dans l' autre
Ils n' ont pas trop des langues
Pour raconter l' endroit
De ce qui fait leurs vies
Pas trop des yeux
Des sourires esquissés
Pour dire ce qui se tait

L' orbe d' un méridien
Pour se quitter encore

Les voilà dos à dos
Sur la place
Comme en duel
Et les voici qui marchent
Chacun vers leur couchant

samedi 13 août 2011

La place (1)


Entre café tardif
Et petit blanc précoce
La terrasse du bistrot
S' est vidée d' un seul jet
Sans ce no man's land des buveurs
Sans les remous du ciel
On pourrait croire qu' ici le temps
N' a jamais posé ses bagages
Que du premier cri du facteur
Qui pédale en chantant
Jusqu' à son dernier souffle
Il ne s' est écoulé qu' un seul
Et interminable jour...

Il faut bien des hasards pour une rencontre
La leur était-ce un signe
Fut scellée sur une place
Peuplée de papillons
...

mercredi 10 août 2011

Parsemez-les



La route dans l' autre sens
Est un océan gris
Qui bat la marée
Du manque déjà
Au bord des yeux

Les arbres et les nuages
Les espoirs et les rêves
On croit qu' ils courent vers nous
Mais ils filent à l' envers
En esquivant nos bras
On ne sait rien tenir
Qui s' enfuit avec eux

Les derniers mots, garder
Le doux et le profond
Mais les sentiments mauves
Et tout le reste au vent
Parsemez-les...