mercredi 7 septembre 2011

Derrière les volets clos ( 1 )



Il l' a trouvée là, dans la chambre, se balançant comme la folle qu' elle était devenue.
En chemise de nuit blanche et nue dessous.
Les seins lourds qu' elle avait comprimés des années durant, à en tourner de l' oeil les jours de grosse chaleur, parce que le démon les avait suçés.
Le démon... Une boule flasque qu' on lui avait posé sur le ventre juste après la déchirure, en lui disant qu' elle ne survivrait pas.
Qu' il lui fallut porter, nourrir, laver, torcher, sans qu' en échange ne sorte un seul maman de sa bouche de petite vieille.
Qui lui mourut dans les bras, seize ans plus tard, les yeux ailleurs, la main fuyante.
Qu' on enterra à la sauvette tout au fond du cimetière.
Un corps de femme fait dans une tombe de piaf.

Il n' a pas tenté un seul geste. L' a laissée tournoyer sur elle-même le regard vide. Il a éteint la lumière, s' est couché sans défaire le lit.
La fatigue, lourde comme un manteau de soldat.
Il a fermé les yeux. Entendu les flons flons d' un petit bal enfui.
Il a revu ses dents de chatte et cette manière qu' elle avait de faire passer la boucle brune derrière l' oreille où il aimait glisser des bêtises chaque fois que l' envie les prenait de se caresser là, n' importe où.
La robe qui lui collait aux cuisses en sueur quand ils posèrent la dernière pierre à cette maison qu' ils avaient voulue tous les deux.
Des fleurs dedans. Et puis dehors. Un enfant? Non, cinq, six, elle disait.
Et ce rire qui faisait durcir son bas ventre dès qu' il l' entendait...

Et puis les griffes.
Les mots qui tuent.
Les nuits sans rêve et sans sommeil près de ce corps qui ne voulait plus recevoir sa semence pourrie, comme elle crachait, mauvaise.
Les mains qui se tordent, vrillant les bords du tablier.
Ces phrases, récitées en boucle, comme des prières mais qu' est ce que j' ai fait au bon dieu pour mériter une misère pareille...
Et les fleurs qui se meurent au salon dans un vase à l' eau verte.

A l' aube il lui faudra l' habiller avant de la dépendre.
Et puis fermer les volets.
L' ombre n' abime pas le sépia des beaux jours.

Mais derrière laisser tant qu' il veut, le jardin pousser à la diable.

11 commentaires:

  1. Un texte éprouvant, mais beau. Beaucoup d'ellipses sur ces deux êtres qu'on voudrait presque connaître mieux.

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  2. Une écriture au vitriol.
    Toute ressemblance avec .... serait-elle...?

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  3. gballand: Ellipses, oui, j' aime bien le mot..
    La vie fait parfois de jolis cadeaux et peut-être aurais-je l' occasion de raconter la suite de son histoire, à lui. Vous me donnez envie d' essayer en tous cas :)

    Anonyme: ...ni complètement fortuite, ni tout à fait involontaire...
    PS: on se présente, c' est mieux, non ? :)

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  4. Je suis quelqu' un qui vous lit depuis longtemps...

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  5. Ah !? Il y en a au moins un ( une ? ) alors !:)
    " Celuiquivouslitdepuislongtemps " c' est bien comme nom, ça fait un peu indien... :)

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  6. Des anges, je porte le même prénom. Je glisse parfois des mots aussi mais il me semble bien plus silencieux que les vôtre.

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  7. oups ils me semblent bien plus silencieux que les vôtres..

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  8. Votre commentaire me questionne...
    Malgré mon travail d' élagage perpétuel mes mots seraient-ils encore trop bavards ?
    Bonsoir Agnès et bienvenue :)

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  9. Texte terrible, dont on ne sort pas indemne. Rassurez-vous, il n'y a pas un mot de trop. Tout est concis. On va à l'essentiel. L'idée de commencer par la fin était risquée, mais non: ce qu'il y a à dire de cette vie (de leur vie)est encore plus terrible que tout. Et le contraste entre la réalité du vécu et les désirs rêvés (la maison à construire, les enfants à avoir)est bouleversant. Il y a aussi (comme dans vos autres textes finalement)une touche d'érotisme discret. L'autre que l'on désire et qu'on n'atteint jamais (la femme qui se refuse ou qui est déjà morte).

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  10. Pffffff.....Vous savez toucher là où il faut et je suis d'accord avec le commentaire précédent : votre concision, vos petites touches impressionnistes posées là où il faut dans le continu de l'écriture finissent par créer une atmosphère unique.Vous travaillez les intensités, les mouvements et les degrés, et ça, c'est, pour moi, l'indice d'une grande force d'évocation. Vous êtes un climat, une mouvance, une turbulence dans lequel s'absorbe le réel, le vôtre, le nôtre...

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  11. Cléanthe, j' étais partie pour une réponse fournie agrémentée de quelques pirouettes. Pis non...
    Juste envie de dire merci pour ces mots, votre façon de les dire et le bien qu' ils me font..

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