mardi 6 novembre 2012

Celui qui marche

Les poings serrés au fond des poches, le dos voûté, la tête dans les épaules, celui qui marche est d' abord une silhouette. Je dis celui mais c' est peut-être elle. Celui qui marche n' a pas de sexe. Il n' a qu' une histoire trop lourde à porter.
Celui qui marche ne sait pas où il va, mais il s' y rend d' un pas pressé. Tels les jouets de l' enfance, qu' on réveillait d' un tour de clé, ses jambes sont comme deux mécaniques dont rien, ni le vent, ni la glaise, ni les cailloux qui roulent, ne peuvent ralentir la foulée.
La beauté du paysage n' importe pas. Il faut qu' il soit assez vaste pour s' y sentir tout petit; assez familier pour n' y être rien.
Et puis, il faut le ciel...
Celui qui marche ne chemine jamais seul. Il emporte avec lui les morts et les vivants. Ses poches ne sont pas vides. Au creux des poings des mots dans des langues oubliées et la vie comme elle va.
Celui qui marche offre au vent sa tristesse, comme ces tombereaux de fusillés qu' on jette en un charnier.
Je dis celui mais c' est peut-être moi...
Moi qui vais, sur les chemins trempés de pluie, ma peine collée aux bottes, levant des légions de perdreaux, libre volaille au vol si lourd qu' elle mérite bien quelques injures.
Moi, seule, traversant l' océan d' argile où les sentiers, comme des jetées ne mènent à aucun bateau...
Je suis celui qui marche et mon ombre me précède.

Et c' est Toi, je le sais, qui tailles mon chemin...

8 commentaires:

  1. traversant l' océan d' argile où les sentiers, comme des jetées ne mènent à aucun bateau...

    On retrouve là l'élément aquatique qui vous est cher ("océan", "jetées","bateau"). Mais pour une fois, la tristesse est telle que les jetées (de simples chemins boueux en fait) ne mènent à aucun bateau (symbole de grand large, d'espoir et d'ailleurs).

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  2. Ici, les sillons sont des vagues, les tracteurs des cargos..
    ( marée basse ce soir-là )

    On a l' océan qu' on peut :)

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  3. Je suis celui qui marche et mon ombre me précède.

    cette phrase à elle seule est un magique poème :)

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    1. Je ne sais pas si cette phrase est un poème à elle toute seule mais c' est la première née, l' origine de ce texte..
      Merci Vincent :)

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  4. Nous sommes tous à un instant fragile celui qui marche, avec ses pensées qui tourbillonnent et créent des sentiers parsemés de rêves, émaillés d'une souffrance venue du fond des temps ...
    Merci. C'est très beau. Je suis toujours extrêmement sensible à la marche des mots surtout si elle s'entoure de si jolis contours :-)
    Cela me fait penser à Vianne, la chocolatière du film de
    Lasse Hallström, la voyageuse qui ne fait que s'arrêter juste avant de repartir, précédée et suivie de son histoire qui est aussi celle de ses ancêtres.

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  5. Pas vu le film que vous évoquez, mais vous en parlez bien, comme du reste d' ailleurs.. :)
    Et c' est moi qui vous remercie...

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  6. Je n'ai rien à dire, Agnès. Je reste seulement sans voix, je vous assure. Du grand blues.

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  7. One who walks..
    en anglais, c' est mieux pour le blues.. :)

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